Les troubles cognitifs de la sclérose en plaques

Publié le par Handi@dy

Lire aussi mon propre article sur le sujet, rédigé après invitation au groupe SEP d'une psy spécialisée en neurologie et membre d'alSacEP, el un compte rendu de l'APF: CLIC! et CLIC!

"

Auteur(s) : Bruno Brochet

cognitif.jpgService de neurologie, Hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux

Les troubles cognitifs de la sclérose en plaques (SEP), bien que connus depuis Charcot, ne font l’objet d’études plus systématiques que depuis une vingtaine d’années.

Fréquence des troubles cognitifs dans la SEP

La fréquence des troubles cognitifs au cours de la SEP se situe entre 40 et 60 %. Les études réalisées sur des échantillons de patients recrutés dans la population générale, évitant les biais de recrutement inhérents aux centres spécialisés, mais mélangeant différentes formes cliniques et durées d’évolution, ont rapporté des prévalences d’environ 40 % [1].

Caractéristiques des troubles cognitifs de la SEP

Les troubles cognitifs de la SEP sont dominés par un ralentissement de la vitesse de traitement de l’information (VTI), ainsi que des atteintes des fonctions attentionnelles et de la mémoire. Des troubles des fonctions exécutives et de la conceptualisation sont aussi décrits. Les aphasies, les agnosies, les alexies et les apraxies, caractéristiques des atteintes corticales, sont exceptionnelles au cours de la SEP [1].

Zakzanis a effectué une méta-analyse de 34 études contrôlées réalisées entre 1983 et 1997 sur 1 845 patients [2]. Les tests des fonctions attentionnelles et de la VTI apparaissent les plus perturbés. Parmi les tests les plus fréquemment perturbés, citons le Symbol-Digit-Modalites Test (SDMT), test de VTI et d’attention, et le Paced Auditory Serial Addition Test (PASAT), un test d’attention auditive et de mémoire de travail très sensible à la vitesse de traitement de l’information. Les résultats au test peuvent dépendre aussi des capacités de calcul mental des sujets et de l’anxiété générée par le test. Peu d’études ont cherché à distinguer les différentes modalités attentionnelles, mais il ne semble pas qu’une modalité attentionnelle soit plus atteinte qu’une autre. Il a été suggéré que le ralentissement de la VTI pouvait rendre compte des difficultés de la mémoire de travail et de certaines fonctions exécutives de certains patients. Il existe une atteinte fréquente de la flexibilité (Trail Making Test B) et de l’inhibition (au test de Stroop). Les résultats du test de Wisconsin ou des tests de stratégie sont discordants.

Les troubles de la mémoire sont fréquemment rencontrés. Ils sont souvent évalués par le Selective Reminding Test (SRT), le test révisé de mémoire de Wechsler ou le California Verbal Learning Test. Les troubles de la mémoire concernent le rappel différé et à un moindre degré, l’encodage et le rappel immédiat. Les résultats aux échelles de quotient intellectuels (WAIS-R) sont peu perturbés. Le QI performance (WAIS-R) est relativement plus atteint, peut-être du fait du ralentissement observé dans la SEP. Il existe assez fréquemment une atteinte de la conceptualisation et de l’abstraction (test des similitudes).

Les fonctions du langage sont relativement préservées à l’exception de la fluence verbale, dont l’atteinte est peut-être liée au ralentissement de la VTI.

Histoire naturelle des troubles cognitifs de la SEP

Troubles cognitifs aux différents stades évolutifs

Les données sur les corrélations entre l’atteinte cognitive et la sévérité de la maladie mesurée sur le handicap physique sont contradictoires, mais les données récentes plaident pour une association entre la sévérité du handicap cognitif et celle du handicap physique [3]. Les études divergent également sur l’existence d’une corrélation entre durée de la maladie et atteinte cognitive. Cependant, la fréquence varie selon le stade clinique.

Au stade de la première poussée (syndrome clinique démyélinisant inaugural, SCI) les troubles cognitifs peuvent être présents mais sont habituellement limités à une fonction comme la VTI ou la mémoire. Au stade précoce de la SEP rémittente (SEP-R) une atteinte est observée dans environ la moitié des cas et les tests les plus fréquemment atteints sont le SDMT, le PASAT et le Stroop [4]. Au stade de SEP- R établie, l’atteinte la plus fréquente concerne aussi la VTI (SDMT) et la mémoire [5]. Les rares études ayant comparé directement SEP-R et progressives secondaires (SEP-SP) et primaires (SEP-PP) montrent une atteinte de sévérité décroissante des formes secondairement progressives (SP) aux formes PP [6]. C’est ainsi que, dans une étude multicentrique européenne de formes PP ou transitionnelle progressive (TP), un tiers seulement des patients avait des performances basses à plus de deux tests [7].

Histoire naturelle des troubles cognitifs : études longitudinales

Peu d’études longitudinales ont été réalisées. Plusieurs études ont montré une stabilité globale des performances pendant des suivis de quelques années, mais des études plus prolongées [8] ont montré des aggravations significatives, tout du moins dans des sous-groupes de patients.

Démences

Les tableaux démentiels sont rares. Des formes purement démentielles ont été rapportées. Des démences de type cortical avec amnésie, troubles phasiques, graphiques et gnosiques, associées à des troubles neuro-psychiatriques sont décrites.

Corrélations avec l’imagerie morphologique

Des corrélations modérées ont été observées entre le volume lésionnel et les troubles cognitifs, probablement du fait de la faible spécificité des lésions IRM sur les séquences T2. Les études en imagerie par transfert de magnétisation, technique qui permet d’apprécier le degré de destruction tissulaire au sein des lésions, mais également à l’extérieur de celles-ci par la mesure du rapport de transfert de magnétisation (RTM), ont permis de montrer des corrélations entre la destruction diffuse en dehors des lésions et l’atteinte cognitive des patients [9]. Ces études plaident pour un rôle important de l’atteinte diffuse du tissu cérébral dans les troubles cognitifs qui pourrait agir par une dysconnexion de réseaux impliqués dans les fonctions cognitives [10]. Il a été également observé des corrélations avec l’atrophie cérébrale et, en particulier, l’atrophie cérébrale centrale [11], affectant la substance grise profonde, qui fait partie des réseaux attentionnels. L’atteinte du cortex pourrait contribuer également aux troubles cognitifs.

Phénomènes de compensation et imagerie fonctionnelle

Les études en imagerie fonctionnelle ont mis en évidence des phénomènes de compensation cérébraux qui permettent en particulier le recours à des aires corticales supplémentaires pour réaliser correctement certaines tâches cognitives. Ces résultats, qui ne peuvent pas être détaillés ici constituent un argument en faveur de la mise en place de programmes de rééducation cognitive

Dépistage, batteries

Du fait de l’absence habituelle de déficits « corticaux », le « mini-mental-status-examination » (MMSE) est habituellement très peu perturbé dans la SEP, même chez les patients atteints cognitivement. Des questionnaires de plaintes ont été proposés. Ils ne sont pas prédicteurs des résultats aux tests sauf quand ils sont administrés aux aidants. En revanche, la plainte cognitive est mieux corrélée à l’existence d’une dépression [9]. Au stade précoce de la phase rémittente, le SDMT est le test le plus sensible et le plus spécifique pour dépister une atteinte cognitive [9]. Une valeur anormale au SDMT peut permettre de sélectionner les patients nécessitant un bilan plus complet.

Différentes batteries sont utilisées dans la littérature. La plus utilisée est la Brief Repeatable Battery (BRB). Elle a été adaptée en français sous le nom de BCcogSEP. Une batterie minimale doit explorer la VTI, l’attention, la mémoire de travail, l’inhibition, la flexibilité, la mémoire, l’abstraction, la fluence verbale et non verbale et la dénomination. Il faut y associer une évaluation de l’anxiété et de la dépression. La limite des tests neuropsychologiques est leur caractère artificiel. Le recours à des tests semi-écologiques ou écologiques a été proposé mais nécessite plus de temps.

Cognition et qualité de vie

L’atteinte cognitive peut altérer la perception du patient de la qualité de vie et, inversement, des corrélations entre une qualité de vie altérée et les troubles cognitifs ont été décrites. L’existence des troubles cognitifs peut avoir un impact important sur le maintien au travail des personnes ayant une SEP ou sur des fonctions essentielles pour l’autonomie comme la conduite.

Conclusion

Les troubles cognitifs sont fréquents et précoces au cours de la SEP. Ils concernent de façon préférentielle la VTI ce qui peut avoir un retentissement sur les autres fonctions cognitives atteintes telles que l’attention, la mémoire de travail et les fonctions exécutives, et interférer avec leur évaluation. La mémoire est aussi fréquemment atteinte. L’atteinte diffuse cérébrale contribue à ces troubles, probablement en interrompant la communication entre les réseaux neuronaux impliqués dans ces fonctions. Des phénomènes de compensation sont possibles au début mais sont limités par la progression de la maladie. La détection des troubles cognitifs peut aider à leur meilleure prise en charge ainsi qu’à une réorientation professionnelle plus adaptée si elle est nécessaire. Une meilleure prise en compte de l’atteinte cognitive dans l’évolution de la maladie peut déboucher sur un ajustement des traitements de fond. Le développement de moyens thérapeutiques médicamenteux ou de rééducation devrait contribuer à une meilleure prise en charge des patients."

webneurologie.com

rangee-de-galets.gif

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article