Je n'ai pas toujours détesté la neige...
Séquence souvenir...
Hiver 1998. Service de neurologie. Quelques jours avant mon transfert en rééducation fonctionnelle. Je suis paraplégique, incontinente, grabataire. Atteinte neurologique non diagnostiquée à l'époque. Batterie de tests et d'examens parfois douloureux. Ponctions lombaires. Electromyogramme. On me bourre de médicaments en attendant de trouver ce que j'ai (mes symptômes sont atypiques et brouillent les pistes). Certains traitements sont très agressifs: 15 cachets à avaler à jeun à l'aube (ça a coloré mes urines en orange fluo), puis d'autres médocs avec les repas; repas que je "rends", car je suis malade comme un chien. On est dimanche matin tôt, je somnole... (j’ai été insomniaque pendant mes 7 mois d'hosto). Chambre individuelle après plus d'un mois en chambre double, d'abord avec une mamie adorable avec laquelle on riait malgré nos galères respectives, puis une semaine avec une femme au bord de la démence... Dur dur.)
Le service est silencieux, comme souvent le week-end. Le jour pointe, j'en ai conscience, mais suis mal, épuisée et garde les yeux clos.
Le téléphone sonne. Damned... Veux faire dodo moua.
Bon, je décroche.
A l'autre bout du fil, Eddy, ex-collègue, un des "anciens" qui, 1 an avant son départ à la retraite, a payé ses années de garettes par un cancer. Il s'est battu, a vaincu la maladie et est revenu faire sa dernière année. Un homme génial. Il appelait ses élèves ses "pingouins" ! Expression que j'ai reprise à mon actif après le départ à la retraite d'Eddy: on ne pouvait décemment pas laisser une aussi belle chose disparaître dans les oubliettes de l'Educ Nat! Mes élèves sont donc "mes pingouins"! (terme malicieux et affectueux, bien sûr!)
Eddy qui est passé me voir pendant ses séances de chimio, m'a apporté des chtits gâteaux confectionnés par son épouse. Eddy qui m'a influé sa force, son courage, son optimisme. Il n'y a qu'un malade pour comprendre un autre malade.
Ce matin-là, Eddy est tout excité, avec une voix de gamin malicieux: "Bonjour @dy, tu as bien dormi ? Regarde par la fenêtre, viiiiiiiiiiite !!!"
J'entrouvre mes mirettes, une aube laiteuse m'éblouit. De gros flocons tourbillonnent derrière ma fenêtre... Première neige de l'hiver. Ben vi, il neige, et puis ?
Eddy n'en démord pas "Tu as vu, il neigeeeeeee!!! C'est génial ! Ce que c'est beau! Voilà, c'était tout, je te laisse te reposer, courage, je t'embrasse, à bientôt!"
Pantoise. Puis je comprends. Cette neige, c'est un miracle, le miracle de la vie renouvelé... Nous sommes malades, mais la vie continue. Dure, mais douce aussi, comme ces flocons qui semblent vouloir m'inviter à danser avec eux. Ma vie est grise, mais la neige reste blanche. Ma paralysie est moche, mais les belles choses ne sont pas enlaidies... Mon désespoir ne doit pas m'empêcher de voir et d'apprécier de beaux moments d'existence.
Par ses mots simples, enfantins et pourtant si profonds, Eddy m'a tirée, ce matin-là, d'un gouffre vers lequel je glissais inexorablement. Qu'il en soit ici remercié.
première parution le 24/1/07